Rétrospective de l’année 2022
Publié le 16 Fév 2023
L’année 2022 a été riche en événements et en évolution au regard de l’Objectif de Développement Durable (ODD) 8.7 visant à éradiquer le travail des enfants et le travail forcé. Nous vous proposons de revenir sur les points clés de cette année au travers de cette rétrospective.
Travail forcé : un nombre de victimes de plus en plus important
En septembre 2022, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) en collaboration avec Organisation Internationale des Migrations (OIM) et de l’ONG australienne Walk Free Foundation a publié les nouvelles estimations sur l’esclavage moderne.
Cinquante millions personnes dans le monde seraient en situation d’esclavage moderne en 2021.
Le rapport démontre également que ce nombre a considérablement augmenté depuis les dernières estimations en 2017. Les femmes et les enfants restent particulièrement vulnérables de manière disproportionnée à l’exploitation sexuelle et au mariage forcé, les hommes étant eux davantage concernés par le travail forcé.
L’esclavage moderne est présent dans presque tous les pays du monde et traverse les frontières ethniques, culturelles et religieuses.
Derrière l’expression “esclavage moderne”, le rapport prend en compte :
- Le travail forcé dans le secteur privé,
- L’exploitation sexuelle à des fins commerciales,
- Le travail forcé imposé par des autorités publiques,
- Le mariage forcé.
Le travail forcé concerne 28 millions de personnes dont 17 millions dans le secteur privé.
La plupart des cas de travail forcé – soit 63 % – se produisent dans le secteur privé (autre que l’exploitation sexuelle). Le travail forcé imposé par l’État représente 14 %. Par ailleurs, les travailleurs migrants sont trois fois plus susceptibles d’être soumis au travail forcé que les travailleurs non migrants.
Plus de la moitié (52 %) de tous les cas de travail forcé se trouvent dans les pays à revenu moyen supérieur ou à revenu élevé. L’Asie et le Pacifique abritent plus de la moitié du total mondial (15,1 millions), suivis par l’Europe et l’Asie centrale (4,1 millions), l’Afrique (3,8 millions), les Amériques (3,6 millions) et les États arabes, (0,9 million). Mais, ce classement régional change considérablement lorsque le travail forcé est exprimé en proportion de la population. Ainsi mesuré, le travail forcé est le plus important dans les États arabes (5,3 pour mille personnes) ; suivis par l’Europe et l’Asie centrale (4,4 pour mille), les Amériques et la région Asie-Pacifique (3,5 pour mille dans les deux cas) et l’Afrique (2,9 pour mille).
Cette augmentation du nombre de victimes s’explique par les nombreuses crises qui touchent le monde. La pandémie de COVID-19 a largement perturbé les mondes du travail et de l’éducation. Les conflits armés qui se sont multipliés sont également un facteur d’aggravation des risques. Enfin, le changement climatique et ses effets désastreux qui s’accélèrent augmentent la vulnérabilité des populations.
Tout ceci pousse des populations vers la pauvreté extrême, multiplie les migrations forcées et dangereuses, fait diminuer les capacités des États à fournir une aide et une protection, et fait exploser les cas de violence de genre. Des travailleurs se sont endettés davantage, d’où une augmentation des cas de servitude pour dettes chez certains travailleurs n’ayant pas accès aux circuits de crédit formels.
Les principales victimes sont notamment les populations pauvres, celles marginalisées et victimes de discrimination, et les travailleurs informels et irréguliers sans aucune protection.
Principaux points :
Ces nouvelles estimations qui montrent une dégradation de la situation interviennent un an après les nouvelles estimations du travail des enfants. Le rapport de l’OIT et de l’UNICEF démontrent que le nombre d’enfants astreints au travail des enfants avait, quant à lui, augmenté de manière significative.
L’OIT fait de la ‘santé et sécurité’ un droit fondamental
La 110ème conférence de l’OIT qui s’est tenue du 30 mai au 9 juin 2022 a acté la décision importante d’ajouter la sécurité et la santé aux principes et droits fondamentaux au travail. Cela signifie que tous les États Membres de l’OIT s’engagent à respecter et à promouvoir le droit fondamental à un environnement de travail sûr et sain. Cette obligation s’applique même si les États Membres n’ont pas ratifié les conventions fondamentales conformément à la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail adoptée en 1998.
Désormais la sécurité et la santé au travail deviennent la 5ème catégorie de principes et droits fondamentaux au travail au côté de ceux déjà existants :
- La liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective ;
- L’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire ;
- L’abolition effective du travail des enfants ;
- L’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession.
Chaque principe fondamental est associé aux conventions de l’OIT les plus pertinentes. Les nouvelles conventions fondamentales seront la convention (n° 155) sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981, et la convention (n° 187) sur le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé des travailleurs, 2006.
La reconnaissance de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs en tant que principe fondamental était importante, car elle figure en bonne place parmi les objectifs constitutionnels énoncés lors de la création de l’OIT. Le préambule de la Constitution indique qu’il est urgent d’améliorer « la protection des travailleurs contre les maladies générales ou professionnelles et les accidents résultant du travail », entre autres aspects.
Cette décision arrive dans un contexte où on observe , d’une part, un nombre accru d’accidents et de problèmes de santé liés au travail, et, d’autre part, une accélération de l’attention portée à la santé mentale et à la lutte contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail. En outre, la pandémie de COVID-19, qui a eu de profondes conséquences pour l’humanité, a mis en exergue l’importance de la sécurité et de la santé au travail.
Renforcement des cadres législatifs européens
En février 2022, la Commission européenne a publié sa stratégie visant à promouvoir le travail décent dans le monde. Ce document regroupe toutes les initiatives existantes ou à venir qui sont développées par l’Union européenne pour mettre en œuvre un travail décent dans le monde entier.
Il s’agit d’actions prises dans le cadre de politiques sectorielles (textile, extraction minière, agriculture et pêche, etc.), des accords commerciaux avec les pays tiers, de guides à destination des entreprises et des acheteurs publics, des coopérations avec des organisations internationales et la société civile et des avancées législatives.
En ce qui concerne la législation, deux textes importants ont été publiés en 2022 et devront être votés en 2023. Il s’agit de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et d’une proposition de règlement relatif à l’interdiction des produits issus du travail forcé sur le marché de l’Union.
Devoir de vigilance à l’échelle européenne
La loi sur le devoir de vigilance à l’échelle européenne continue son chemin législatif. Elle a été annoncée par le Commissaire européen à la Justice en 2020, puis le Parlement européen a adopté une résolution contenant des recommandations à la Commission européenne en 2021.
Le 23 février 2022, la Commission européenne a présenté un premier projet de loi sur le devoir de vigilance à l’échelle européenne. Le 1er décembre 2022, le Conseil de l’Europe a adopté sa position de négociation sur le texte. Suite à ces orientations générales, une négociation sera entamée entre le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen dans les prochains mois.
À l’heure actuelle, il y a de fortes disparités entre les propositions des différents organes de l’Union européenne, que ce soit le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne. Ces différences concernent entre autres les entreprises qui seront soumises à cette loi, la stratégie de vigilance à adopter par les entreprises ou bien l’implication des parties prenantes (Pour plus d’information, lire les pages 28 à 35 du rapport annuel édition 2022 de RHSF).
En janvier 2022, l’Assemblée Nationale française a voté une résolution pour demander à l’échelle européenne « une législation ambitieuse sur le devoir de vigilance des multinationales ». Cette résolution a été portée par les députés Mireille Clapot et Dominique Potier, ce dernier ayant porté la loi sur le devoir de vigilance en 2017. Ce vote intervenait alors que la France venait de prendre la Présidence tournante de l’Union européenne et avait listé le devoir de vigilance à l’échelle européenne comme une priorité.
Loi interdisant les produits issus du travail forcé
Le Parlement européen a adopté le 9 juin une résolution demandant à la Commission européenne de développer une législation interdisant de l’import-export de produits fabriqués ou transportés en recourant au travail forcé
En septembre 2022, la Commission a publié une proposition de loi, soit un an après le discours de l’union de la Présidente Ursula von der Leyen qui l’avait annoncé.
Cette législation prévoit d’interdire tous les produits placés sur le marché de l’Union européenne, fabriqués dans l’UE pour la consommation intérieure et les exportations, et les biens importés, sans cibler des entreprises ou des industries spécifiques.
Le terme “produit” est défini comme pouvant donner lieu à une valuation en argent et faire partie d’une transaction commerciale. Le produit peut provenir d’une extraction, d’une récolte, d’une fabrication à toutes les étapes de la chaine de sous-traitance.
La procédure se déroulerait en plusieurs étapes avec d’abord une phase préliminaire lorsque les autorités ont des raisons fondées de soupçonner que les produits ont probablement été fabriqués avec du travail forcé. Si elles déterminent qu’il y a une crainte fondée de travail forcé, elles passeront à la phase d’enquête, et ainsi statuer l’interdiction ou non du produit dans le marché intérieur.
Chaque pays membre devra mettre en place une autorité chargée de mener les procédures et l’Union européenne s’assurera de la cohérence et de la coordination entre chaque État Membre. La Commission européenne devra développer des guides et des outils pour aider les autorités locales à réussir leurs missions.
Protection sociale
À la suite du bouleversement (pour éviter l’anglicisme) causé par la pandémie de Covid-19, l’ancien directeur général de l’OIT avait appelé à investir dans des systèmes de protection sociale universels, complets, adéquats et durables, conformément aux principes des droits de l’homme et aux normes internationales de sécurité sociale.
En effet, de nombreuses personnes se retrouvent sans aucune protection sociale. Un nouveau rapport de l’OIT a identifié les lacunes en matière de protection sociale. Actuellement, seuls 47 % de la population mondiale sont effectivement couverts par au moins une prestation de protection sociale. 4,1 milliards de personnes (53 %) ne bénéficient d’aucune garantie de revenu par leur système national de protection sociale, malgré l’expansion mondiale de la protection sociale pendant la crise du COVID-19. Les disparités selon les régions du monde se sont encore creusées :
- Europe et l’Asie centrale : 84 % de personnes bénéficient d’au moins une prestation de couverture sociale,
- Amériques : 64,3 %,
- Asie et Pacifique : 44 %,
- États Arabes : 40 %,
- Afrique : 17,4 %.
Enfin, dans le monde, seul un enfant sur quatre (26,4 %) bénéficie d’une prestation de protection sociale.
Notons deux pays qui ont eu des avancées législatives majeures :
- Depuis avril 2022, à Singapour, les employeurs doivent fournir une protection sociale couvrant les soins de santé aux travailleurs migrants vivant dans un dortoir ou évoluant dans les secteurs de la construction, des chantiers navals et de la transformation. L’objectif est de permettre un accès abordable aux soins de santé et de réduire les risques liés à de futures épidémies. Cette règle fera partie des exigences pour que ces travailleurs obtiennent ou renouvellent leur permis de travail et laisser-passer. Selon le Ministère du Travail, le programme couvrira dans un premier temps environ un tiers des travailleurs migrants, soit plus de 300 000 personnes.
- Le Maroc a commencé la mise en place de son projet de généralisation de la protection sociale. Cette généralisation permettra de préserver les équilibres sociaux en luttant contre la précarité, de garantir l’accès au travail décent, de lutter notamment contre le travail des enfants et la déscolarisation et de limiter l’exode rural. En 2022, l’effort s’est concentré sur l’accès à tous à une assurance maladie obligatoire et cela aura permis à 22 millions de personnes supplémentaires d’en bénéficier. Par la suite, des actions vont mises en place pour généraliser l’accès aux allocations familiales, au régime de retraite et aux allocations chômage.
Un appel international à éliminer le travail des enfants
En mai 2022,s’est tenue la Vème Conférence mondiale sur le travail des enfants en Afrique du Sud. Cette conférence intervient à la suite des estimations de 2021 qui ont montré une augmentation du travail des enfants. Les participants à la Conférence – États, représentants des travailleurs et des employeurs, des entreprises, institutions académiques, société civile et agences de l’ONU – se sont engagés à plus d’efforts pour éliminer le travail des enfants dans un document appelé « l’appel de Durban ».
Le document contient des actions d’engagements dans six domaines différents :
- Faire du travail décent une réalité pour les adultes et les jeunes ayant dépassé l’âge minimum d’admission à l’emploi en accélérant les efforts multipartites visant à éliminer le travail des enfants, la priorité étant donnée aux pires formes de travail des enfants.
- Mettre fin au travail des enfants dans l’agriculture.
- Renforcer la prévention et l’élimination du travail des enfants, y compris de ses pires formes, du travail forcé, de l’esclavage moderne et de la traite des personnes, ainsi que la protection des survivants grâce à des réponses politiques et programmatiques fondées sur des données et informées par les survivants.
- Réaliser le droit des enfants à l’éducation et garantir l’accès universel à une éducation et une formation gratuites, obligatoires, de qualité, équitables et inclusives.
- Assurer l’accès universel à la protection sociale.
- Accroître le financement et la coopération internationale pour l’élimination du travail des enfants et du travail forcé.
Conclusion : que pouvons-nous attendre de 2023 ?
Un engagement fort au niveau européen
Les premières versions des textes de loi sur le devoir de vigilance à l’échelle européenne et sur l’interdiction des produits issus du travail forcé ont été publiées. Le chemin législatif lancé devrait aboutir au vote de ses lois courant de l’année 2023. Il faudra par la suite adapter les lois déjà existantes en Allemagne, en France et en Finlande et développer un cadre européen harmonisé. Le défi sera de répondre d’une seule voix dans une Europe à plusieurs vitesses.
L’Union européenne devrait continuer d’améliorer ses outils pour faire mieux respecter les standards internationaux de travail dans le cadre des accords de libre-échange. La Commission européenne s’était engagée en juin 2022 à avoir des engagements axés sur les résultats et les priorités avec les pays partenaires, à plus intégrer la participation de la société civile et à mettre un accent plus fort sur la mise en œuvre et l’application des règles.
Une reprise encore loin
2021 a connu une reprise économique à la suite des levées de nombreuses restrictions liées à la pandémie de Covid-19. Cependant, selon l’OIT, dans un nouveau rapport datant de janvier 2023, de nombreux pays n’ont pas retrouvé le niveau d’emploi d’avant la pandémie. Les crises successives, notamment la guerre en Ukraine, ont entrainé des bouleversements dans les chaines d’approvisionnement et des hausses de prix historiques. Ceci va ralentir la croissance de l’emploi, qui devrait atteindre que 1 % (contre 2.3 % en 2022). Il faudra attendre plusieurs années avant de retrouver le niveau d’avant 2020.
La baisse de la demande mondiale, notamment dans les pays les riches, pourraient avoir des conséquences dans les pays à bas et moyens revenus. Dans certains de ces pays, 20 % des emplois dépendent de la chaine d’approvisionnement mondiale. Le ralentissement économique mondiale actuel risque de contraindre davantage de travailleurs à accepter des emplois de moindre qualité, mal payés et dépourvus de sécurité de l’emploi et de protection sociale, accentuant ainsi les inégalités exacerbées par la crise du COVID-19. De plus, la pénurie persistante de meilleures opportunités d’emplois décents devrait s’aggraver, selon l’étude. En effet, sans le filet de la protection sociale, les travailleurs ne peuvent pas rester sans emploi, ce qui va accroître leur vulnérabilité face à des situations d’exploitations.