Focus sur le travail des tisseurs de la communauté Rumah Gare (Malaisie)
Publié le 27 Jan 2016
Les conditions de travail dans les pays de l’Asie du Sud-Est sont difficiles. De nombreuses pratiques mettent les travailleurs dans des situations de dépendance vis-à-vis de leur employeur, ce qui créé des conditions de servitude potentielle. Mais certaines populations s’attachent à faire face à ces difficultés, soutenues par des acteurs extérieurs. C’est le cas du projet lancé en 2013 au coeur de la communauté Rumah Gare (appartenant à l’ethnie des Iban), par l’anthropologue Welyne Jeffrey Jehom de l’Université de Malaisie et mis en lumière dans un documentaire réalisé en 2016 par RHSF. L’objectif de cette initiative est d’aider les membres de la communauté à développer une économie autour d’une tradition ancestrale du textile.
Un projet pour soutenir la communauté Iban
Lancé sous la marque déposée « Rh. Gareh », ce projet assure la production du « pua kumbu » (couverture cérémoniale), le textile traditionnel des Iban. L’objectif est de soutenir les femmes et les hommes en leur offrant une structure de production équitable. Cette initiative a été mise en place grâce au capital fourni par les membres de la communauté et l’anthropologue Welyne Jeffrey Jehom afin d’acheter les outils nécessaires à la création de ces produits et en assurer la distribution. Le rôle de Welyne Jeffrey Jehom, a en outre, été crucial dans le développement de la production et le positionnement des produits en fonction des demandes commerciales. La communauté est composée de 35 femmes tisseuses (pour la plupart mères, veuves ou divorcées) et d’un homme tisseur. Ils travaillent indépendamment et sont libres dans l’exercice de cette fonction. Les décisions relatives à l’activité sont prises d’un commun accord par la communauté et 100 % des revenus acquis suite à une vente reviennent systématiquement à ces travailleurs (grâce à la marque déposée).
Indépendants financièrement, ils comprennent désormais la valeur de leur travail. Avec l’argent récolté ils peuvent scolariser leurs enfants, rénover leurs maisons… Une plateforme de vente en ligne a été également créé par Welyne Jeffrey Jehom elle permet d’atteindre le consommateur directement, sans intermédiaires, ni coûts supplémentaires. Chaque produit mis en vente est unique : l’acheteur peut retrouver le nom de la tisseuse ou du tisseur, l’histoire du design, des informations sur la coloration utilisée…
Welyne Jeffrey Jehom a également développé avec la communauté une gamme de produits incluant des sacs, des vêtements, des chaussures… Depuis sa création, le projet a remporté une forte adhésion de la part des membres de la tribu. En deux ans, leur nombre a augmenté passant de 7 à 35. Des jeunes apprentis (un homme de 29 ans et une jeune fille de 15 ans) ont rejoint l’équipe afin d’acquérir des compétences auprès des plus expérimentés.
Le pua kumbu : un savoir-faire unique et ancestral
Chaque pièce est unique, elle est fabriquée entre un mois et demi et deux mois et requiert un travail minutieux. Tous les ingrédients utilisés sont d’origine naturelle. Les teintures sont faites à partir de végétaux et l’eau utilisée provient de la montagne. Dès le lancement du projet le premier travail de l’anthropologue fut de collecter les motifs auprès de chaque famille à travers les histoires du folklore Iban. 75 motifs n’ayant jamais été tissés depuis 30 à 40 ans ont ainsi été découverts.
Le film de RHSF sur le travail de la communauté Rumah Gare
RHSF est la seule organisation en France à avoir été retenue dans le cadre du projet européen SUSY (Sustainable and Solidarity economy) qui vise à lutter contre la pauvreté à travers l’Economie Sociale et Solidaire. Ce projet est l’occasion pour RHSF de rappeler que plus une chaîne de sous-traitance est courte, moins les risques de travail forcé et de travail des enfants existent. Ainsi, l’ONG s’est penchée sur le travail de Welyne Jeffrey Jehom au coeur de l’ethnie Iban et a réalisé ce documentaire avec Charles Gay, un réalisateur New-Yorkais.
L’initiative de Welyne Jeffrey Jehom a été saluée par le gouvernement Malaisien. Une exposition de pua kumbu s’est également tenue à l’Université de Malaisie à l’été 2015, elle a été plébiscitée par de nombreux visiteurs. Ce projet est soutenu par la fondation Tun Jugah qui promeut les méthodes traditionnelles de tissage Iban.
Interview d’Adèle Rivet, Chef de projet à Ressources Humaines Sans Frontières, qui a travaillé sur ce projet en Malaisie
Pourquoi avoir choisi ce projet dans le cadre des bonnes pratiques en Malaisie ?
Nous avons choisi ce projet car il allie la lutte contre les discriminations et regroupe les critères de l’Economie Sociale et Solidaire. En effet, au niveau économique, il permet à la communauté Rumah Gare d’avoir un revenu juste à travers la vente des pua kumbu et les décisions sont prises en commun. Au niveau environnemental, les produits utilisés proviennent essentiellement de la forêt et sont cultivés par la communauté elle-même, ceci ne nuisant en aucun cas à l’environnement. De plus le projet a vu le nombre de tisseurs augmenter de 7 à 35 en seulement 2 ans. Enfin, la marque déposée est une excellente initiative contre l’exploitation et le vol de leur savoir-faire.
Comment avez-vous entendu parler de ce projet ?
RHSF a rencontré une entreprise française en Malaisie qui a mis en place une crèche d’entreprise afin de lutter contre les discriminations des femmes et le travail forcé. Cette entreprise emploie 80% de femmes (main d’oeuvre locale). Lors de cette réunion, étaient présents Tenaganita (ONG malaisienne avec laquelle RHSF travaille depuis de nombreuses années sur la problématique du travail forcé) et une anthropologue de l’Université de Malaya, Dr Welyne Jeffrey Jehom. Elle est spécialisée dans les études de genres et son travail vise notamment à lutter contre les discriminations et en particulier chez les femmes. Elle nous a fait part de son projet d’Economie Sociale et Solidaire avec la communauté Rumah Gare qui nous a semblé être une initiative très intéressante pour lutter contre le travail forcé et l’abus des droits humains de façon générale.
Comment s’est passé le voyage au sein de cette tribu ?
Le voyage s’est très bien passé. Une expérience incroyable et inoubliable. Nous avons été très bien reçus grâce à Welyne qui est complètement intégrée au sein de la communauté. Le trajet pour y arriver est long car nous avons pris un vol interne jusqu’à Sibu (Bornéo) puis plusieurs bateaux et enfin nous avons terminé notre périple sur une pirogue à moteur en plein milieu de nulle part où la nature est encore préservée. Nous sommes restés 2 nuits pour le tournage. Nous avons logé à la longhouse où toute la communauté vit. Nous avons partagé les repas avec la master weaver, sa petite-fille et sa fille. Nous avons également tous dormi (Welyne, master weaver, petite-fille, Charles et moi-même) dans la même pièce. Le 1er soir, nous avons pu assister à quelques danses Iban sous fond de musique Iban en sirotant du vin de riz préparé par la communauté.
Vous ont-ils présenté leur travail ?
Oui, nous avons pu voir différents process dont la récolte des plantes pour la teinture et toute l’étape de préparation pour obtenir la couleur, le tissage etc… La galerie collective de la longhouse est toujours très vivante, les tisseuses travaillent à leur rythme mais du réveil au coucher il y avait toujours quelqu’un en train de tisser.
Qui a réalisé ce documentaire pour RHSF ?
Il s’agit d’un réalisateur new-yorkais, Charles Gay avec qui nous avions déjà travaillé dans la cadre de notre concours de dessin sur le travail forcé avec Plantu. Charles Gay a réalisé de nombreux documentaires notamment au Kenya sur l’excision. Et la musique nous a été offerte par Envelope Music (New-York).
Dans quel cadre sera-t-il utilisé ?
Ce documentaire sera utilisé dans le cadre du projet européen SUSY afin de mettre en avant ces bonnes pratiques (impacts positifs au niveau environnemental, social et sur les communautés) lors de workshops et de rencontres. Il sera projeté lors d’un speaker tour dans 4 régions en France (Midi-Pyrénées, Languedoc Roussillon, Aquitaine et Île-de-France) durant lequel nous allons accueillir des intervenants malaisiens. Nous comptons également le présenter dans le cadre d’un concours, l’appel sera lancé en Mars. 5-6 films présentant les bonnes pratiques seront sélectionnés pour être projetés lors du festival Terra Di Tutti en octobre.